J'ai une idée ! cria soudain le Diable numéro sept-cent-quatre-vingt-douze.

Tous les autres se tournèrent vers lui. Il grandit, pour être vu et entendu. Il dépassa la plus haute tour de verre et d'acier. Une fusée à décerveler lui entra dans une oreille et sortit par l'autre, sans qu'il la sentît.

Alors quoi ? dit un milliard de voix.

Si nous n'avons plus personne ici, c'est à cause de Son Fils ! Il est venu sur Terre pour sauver les âmes, Il est descendu jusque chez-nous, Il nous a tout pris, même Caïn et Juda, et Il ne laisse plus descendre personne ! Il pardonne, Il pardonne, Il pardonne, c'est horrible !...

Et le sept-cent-quatre-vingt-douzième se mit à sangloter et à grincer des dents. Et ses larmes creusèrent de nouvelles salles infernales jusqu'au centre de la Terre. Vides, vides, vides...

On le sait ! dirent deux milliards de voix. Et alors ?

Sept-cent-quatre-vingt-douze crachat cracha six rangées de canines aiguës, et dit :

Alors, faisons-nous, nous aussi, un fils sur Terre !

Il sera présent partout, il poussera les hommes et les femmes dans le mal, et nous les expédiera avant qu'ils aient eu le temps de se repentir !

Ouaiai ! hurlèrent les méduses et les taupes cornues, enthousiastes.

D'accord ! dit le Diable à lui-même. Exécution !...

Et à minuit moins deux il se posa sur le lit d'une fille vierge qui dormait nue comme il était d'usage en ce temps-là, et les jambes ouvertes parce qu'on était au mois d'août et qu'il faisait chaud.
 
Il n'éprouva aucune difficulté à faire ce qu'il avait à faire. Il aurait aimé y prendre plaisir, comme les hommes qu'il avait vus si souvent se tortiller en d'incompréhensibles ravissements, mais ce fut comme s'il avait trempé son gros doigt dans l'eau torride d'un bénitier. Il se retint de hurler, lâcha sa semence diabolique, et s'enfuit.

Mais, qu'est-ce qui m'arrive ? Mais qu'est-ce qui m'arrive ?
se demandait l'innocente en son sommeil.

Elle s'éveilla et se rendit compte qu'effectivement il lui était arrivé quelque chose, et n'y comprit rien du tout, la porte de sa chambrette étant maintenue de l'intérieur par le dossier d'une chaise qui se trouvait toujours en place, et le fenestron à peine assez large pour laisser passer le chat...


Ystoire de Merlin. (Paris, Bilbl.nat., ms.fr.96, f° 62v°)


Quand le jour fut levé, elle courut tout raconter à son confesseur, qui comprit qu'il y avait là un exploit diabolique, et alerta Dieu aussitôt.

Naturellement, Celui-ci était au courant. Rien ne Lui échappe. Il savait donc aussi qu'un petit enfant mâle avait été conçu de l'oeuvre du démon. Il était déjà gros comme la moitié d'une lentille.

Dieu l'appela :

- Tu m'entends, petit.  - Oui, Dieu.  - Tu sais qui t'a fait ?  - Oui, Dieu.  - As-tu l'intention d'obéir à ton père ?

- Je ferai comme Vous voudrez, Dieu.

- Brave petit !... Tu as la bonne nature de ta mère... Je te laisse donc tous les pouvoirs que ton père t'as donnés, mais tu les utiliseras pour le bien au lieu de les employer à faire le mal.

- Oui, Dieu.  - Es-tu satisfait ?  - Oui, Dieu.  - Bon !... Veille sur ta maman, elle va avoir besoin de toi.

On se rend compte, par ce dialogue, que le futur enfant ne disposait pas encore d'un grand vocabulaire. Mais le lendemain il savait le latin, le grec, l'araméen et le chaldéen, et le jour d'après tous les mots du chinois. Aucun Chinois n'en sait autant. Dans les domaines des diverses connaissances il fit des progrès aussi rapides.

Quand il su tout, il décida de sortir de cet abri tiède et confortable, où il commençait à s'ennuyer. Il naquit sept mois et deux jours après sa conception.

René Barjavel © 2001-2004 Asso Acteurs du Combat dit Lumeçon Service Fêtes Ville de Mons